Victime d’un Guillain-Barré atypique sévère, ma mère a perdu espoir de pouvoir être à nouveau autonome et de vivre sans douleur.
Ma mère, femme indépendante, autonome, positive et forte, a 66 ans a été atteinte du Syndrome de Guillain-Barré le 27 mai 2007. Elle a d’abord ressenti un malaise au niveau des jambes. puis au visage et enfin aux bras. Engourdissements, impression que des couteaux frappaient au niveau des mains et des jambes, picotements et enfin, que ses mains et pieds se faisaient tordre.
Marie témoigne pour sa maman
Guillain-Barré à 66 ans (en 2007)
Guillain-Barré atypique sévère
Au début, elle gardait le moral. Alors qu’elle était encore aux soins réguliers de l’hôpital universitaire du coin où elle avait été transférée (à la deuxième semaine), elle marchait encore mais, avec assistance. Elle communiquait aisément, faisait des blagues et riait des nôtres.
Une semaine plus tard, son état s’est aggravé et on a diagnostiqué un Syndrome de Guillain-Barré atypique sévère. Elle a alors perdu complètement l’usage de ses bras, de ses jambes, puis de sa langue et de son visage, sauf pour les yeux. La suite est classique : deux ponctions lombaires sans résultat, deux tests EMG, dont le dernier qui confirme le syndrome, mise sous respirateur pour dix jours, puis la trachéotomie.
La trachéo s’infecte. Les médecins cautérisent puis installent des mèches. Trois sessions d’immunoglobuline à raison de cinq jours par session. Morphine au début qui lui cause des nausées. On passe à un “patch” de calmant qui s’accompagne d’une dose de 1,5 mg de dilodil (5 fois plus fort que la morphine).
Elle se réfugie dans un monde inaccessible
Toute communication devient impossible. Alors que nous utilisons l’alphabet pour former des mots, avec ses calmants, elle ne répond plus. Elle a perdu tout intérêt à communiquer, à écouter la musique qu’elle aime tant et même, à regarder les photos de ses petits enfants. Nous tentons de la stimuler avec l’humour, les fleurs, la musique… Rien n’y fait. Elle sera dans cet état durant une semaine.
Puis, elle sort de cette léthargie. Elle n’est pas redevenue elle-même encore mais, ses yeux communiquent. Elle tente de prononcer des mots sans résultat. Nous tentons de communiquer mais elle a perdu tout intérêt. Elle se réfugie dans un monde inaccessible. La douleur est trop forte. Durant ces crises, sa tension monte en flèche et son pouls aussi. Elle nous regarde dans les yeux comme si nous pouvions la sauver. Mais, nous assistons à ce désastre sans pouvoir faire quoi que ce soit. C’est insupportable. Le moral de la famille faiblit.
La guérison est trop longue pour elle
Deux mois après le début de cette maladie. La période de régression est terminée et celle du plateau aussi. Depuis le début de l’hospitalisation, nous sommes toujours présents. Mon père se réserve les journées, mon frère et moi les soirées. Mon père sait qu’il est très important qu’il soit présent. Lorsqu’elle se réveille, ma mère le cherche et le fait travailler !
Enfin, nous remarquons des muscles de son visage qui se mettent à bouger ! Trois petits muscles qui jusqu’à lors étaient immobiles ! Ces mêmes petits muscles qui permettent de remarquer qu’elle peut enfin démontrer qu’elle sourit de nos blagues. J’en pleure de joie. Malheureusement, ce n’est pas suffisant pour elle. En femme indépendante et forte, elle voudrait récupérer plus rapidement et ne se sent pas réjouie de ces améliorations de son état. En fait, elle est plutôt découragée. Le processus de guérison est trop long.
Les médecins décident de débrancher le tube qui relie le respirateur à la trachéo pour voir si ses poumons sont assez forts pour faire le travail. Mais la tentative n’est pas concluante.
Ses bras et ses jambes sont encore paralysés
Elle demeurera sous respirateur encore 4 mois en conservant la paralysie des bras et des jambes. Lors du 8e mois, une autre tentative sera faite pour la débrancher du respirateur. Elle sera débranchée peu à peu mais en la laissant branchée durant des périodes plus ou moins longues de repos entre chaque débranchement. Elle deviendra finalement autosuffisante au niveau respiratoire lors du 8e mois.
Au 9e mois, elle est transférée a l’unité des soins intermédiaires. Elle y reste un mois seulement. Les bras et les jambes sont encore paralysés. Elle éprouve toujours des douleurs, toujours les mêmes, soit celles du début. Elle est alors transférée à l’unité de neurologie où elle résidera 1 mois. Il n’y a encore aucun changement.
Enfin parmi nous dans sa maison
Lors du 10e mois, elle est transférée dans un centre de réadaptation. Elle travaille comme une forcenée avec le personnel pour tenter de récupérer ses bras et ses jambes. Mon père est vraiment impressionné des efforts qu’elle fait lors des exercices. Leur moral est bon et l’espoir est bien présent.
Lorsque le printemps revient enfin, nous la promenons dans le parc de l’endroit qui est vraiment magnifique. Elle examine chaque plante, chaque arbre. Son moral en est revigoré mais la progression se fait toujours attendre.
Elle revient enfin à la maison quelques fins de semaine (fin mai et juin). Elle en éprouve un immense plaisir. Mon père en prend soin comme d’un butin précieux. Elle n’a jamais été aussi bien soignée, cajolée et dorlotée. Elle ne peut pas encore être nourrie comme nous mais elle est enfin heureuse d’être parmi nous dans sa maison.
Maman perd peu à peu tout intérêt
Voyant le peu de résultats obtenus, le centre de réadaptation restreint son séjour à 3 jours dès le mois novembre (19e mois). Mon père doit donc prendre la relève les 4 jours suivants. Le centre lui a procuré des appareils pour faire des exercices et il la fait travailler à la maison en plus de prendre soin d’elle. Mon frère et moi contribuons comme nous pouvons : préparation de plats, organisation de soupers, câlins, écoute, distractions et soutien moral.
Le centre la libère complètement vers le 22e mois (février). Elle fréquente, en externe, un service de réadaptation de l’hôpital 2 jours par semaine. Mon père commence alors à la nourrir des mêmes aliments que nous. Il les hache le plus possible car sa gorge n’est pas revenue à la normale et elle s’étouffe souvent. Il se laisse même convaincre de lui donner du vin rouge qu’elle aime tant. La nutritionniste confirme que c’est bon pour elle. Depuis son retour, nous avons recommencé à respecter les traditions que la famille chérissait tant. Les fêtes des enfants, noël, le temps des sucres.
Le printemps arrive enfin. C’est la saison qu’elle préfère avec l’été. Elle aime voir les plantes pousser, les oiseaux occupés à ravitailler la marmaille, le soleil qui redevient plus chaud, l’odeur de la terre.
Mais, depuis son Guillain-Barré atypique sévère, elle si curieuse, si intelligente de savoir, perd peu à peu tout intérêt. Mon père qui cherche constamment une façon de titiller son intérêt, trouve une chaîne de télé d’émissions rigolotes. Il se dit qu’un peu de rire lui fera du bien. Et ils rigolent ! Et quand il n’y en a pas, il change pour la chaîne des voyages qu’elle affectionne tant. Il réussit pendant quelques temps à satisfaire le peu de curiosité qui lui reste.
Mais, ma mère a perdu espoir de pouvoir être à nouveau autonome et surtout de vivre sans douleur. Elle n’a plus d’intérêt pour quoi que ce soit non plus.
Des douleurs et des problèmes pour respirer
Nous sommes le 16 juillet 2009, soit le 27e mois. Depuis le début du syndrome de Guillain-Barré, elle n’a jamais cessé de souffrir. Nous ne pouvions pas la toucher ailleurs que sur les joues, le front et les cheveux. Et toujours elle ressentait des décharges électriques, des picotements, des sensations « d’écrasement » de ses membres. Ses membres ne sont jamais revenus à la vie. Elle était complètement dépendante. Ce qu’elle n’a jamais voulu.
Depuis le 12 juillet, elle a de plus en plus de difficulté à respirer et les douleurs sont de plus en plus fortes aux bras et aux jambes. Dimanche dernier, elle avait tant de difficultés à respirer que mon père a tenté de la convaincre d’aller à l’hôpital régional car il ne trouvait plus les moyens de la soulager. Elle qui avait maintenant horreur des hôpitaux et des traitements s’est laissée convaincre. Nous croyons qu’elle a accepté pour lui plaire une dernière fois.
Elle a ensuite été transférée à l’hôpital universitaire. Suite à l’unité d’urgence, elle a été admise à l’unité d’évaluation (13 juillet) où j’ai passé la nuit avec elle pour permettre à mon père de se reposer. Lorsque je suis partie pour dormir un peu, elle se sentait mieux et je croyais qu’elle s’en sortirait. Les médecins avaient écarté l’embolie. Ils croyaient plutôt que la partie inférieure de ses poumons s’était affaissée dû à des sécrétions ou un résidu de nourriture qui s’y serait logé. Le médecin de garde lui a alors demandé si elle accepterait d’être intubée. L’hésitation a tôt fait place à un non. Ils lui ont alors proposé de faire une bronchoscopie afin d’aller voir ce qui empêchait les poumons de s’ouvrir complètement, tout en lui expliquant les conséquences et les inconvénients.
Elle refusait de souffrir à nouveau
Peu après être arrivée à la maison le 14 juillet, mon père m’a téléphoné pour m’apprendre qu’ils avaient discuté ensemble et qu’elle refusait maintenant tout traitement. Elle a alors été transférée dans l’unité des soins palliatifs. Maman refusait de souffrir à nouveau.
Nous nous sommes immédiatement rassemblés à l’hôpital pour discuter de leur décision. Même si les faits étaient inéluctables, mon frère et moi devions entendre ma mère nous le dire. Dès que l’occasion s’est présentée, je l’ai consulté seule à seule. Elle me l’a confirmé. La souffrance ne lui avait jamais donné de répit et elle ne trouvait plus aucun plaisir à vivre. Nous avons tous respecté sa décision. L’équipe des soins palliatifs nous a aussitôt expliqué le protocole. Nous avons donné notre accord.
Le médecin en place a été impressionné par la force de son cœur. Il nous a dit que ce ne serait pas long. Ma mère l’a fait mentir ! Elle a surpassé le délai de 6 heures !
Elle sera toujours parmi nous
Maman nous a quittés à 2h10 heure du Québec en ce jeudi matin. Après de terribles et d’interminables souffrances pendant plus de 2 ans, elle a souhaité abréger la dernière en refusant les traitements proposés. Nous l’avons accompagnée jusqu’au bout, parfois avec des larmes, d’autres avec de merveilleux souvenirs ou encore avec de grands éclats de rire. Mais toujours avec une immense tendresse et notre amour incommensurable pour ce petit bout de femme qui nous aimait tant, qui était tout autant faite de douceur qu’elle savait avoir du chien (ou de la jarnigoine comme dirait son père).
Nous sommes tous sereins, calmes et en paix. Nous sommes avant tout heureux qu’elle soit enfin délivrée. Elle nous manque déjà.
Par amour pour maman…
Cette femme, ma mère, a toujours été un modèle pour toute la famille et pour bien d’autres. Je n’exagère pas et je suis totalement pragmatique et réaliste face à ce constat. Elle et mon père nous ont transmis les plus belles valeurs humaines qu’il soit. C’est un héritage inestimable.
Nous serons plus que présent pour mon père, cet homme qui l’aime tant et qui a tant donné.
Grâce à cette dernière expérience en sa compagnie, certains d’entre-nous auront pris conscience de l’importance de la tendresse et du toucher, d’autres à laisser place aux émotions, ce sentiment qui signifie que l’on vit vraiment et enfin à plusieurs de dire « Je t’aime ». Ensuite, la mort ne devient qu’une étape.
Je souhaite de tout cœur que l’histoire des derniers moments de la vie de ma mère puisse vous apaiser. Elle ne croyait en aucun Dieu ou sommité, elle n’avait pas peur et c’était son choix. Elle a exprimé son dernier désir et est partie tout en douceur, sans peur, sans regret, sans remord et sa décision avait pleinement été murie. Nous l’avons plus que respecté, nous l’avons accompagnée. Par respect. Par amour.
À maman.
Si quelqu’un aime une fleur qui n’existe qu’à un exemplaire dans les millions et les millions d’étoiles, ça suffit pour qu’il soit heureux quand il les regarde. Il se dit: “Ma fleur est là quelque part…”
Le Petit Prince,
Antoine de Saint-Exupéry