Mon rétablissement s’est fait sans séquelles apparentes du Guillain-Barré… Mais psychologiquement, j’ai été détruit.

J’avais 16 ans lorsque j’ai contracté le Syndrome de Guillain-Barré. J’étais un garçon excessivement mal dans sa peau à cette époque, mais tout cela n’était rien à côté de ce que j’allais vivre. La maladie a commencé avec des difficultés à marcher, mes bras et mes jambes devenant de plus en plus faibles (flasques, c’est le mot qu’il convient d’employer). J’avais des problèmes de déglutition et je me souviens que je devais cracher sans cesse. Le médecin de famille ne semblait pas comprendre ce que j’avais. Il conclut à un diagnostic pour le moins curieux : crise de rébellion relative à l’adolescence. Selon lui, c’est moi qui refusais de marcher et de m’alimenter.

François, 36 ans

Guillain-Barré à 16 ans (en 1981)

Interné en hôpital psychiatrique

Mes parents signèrent une décharge (j’étais mineur à l’époque) pour un internement en hôpital psychiatrique. Je n’oublierais jamais mon arrivée dans cet établissement où deux personnes durent m’aider à gravir les marches tant j’étais faible. A partir de ce moment-là, j’ai perdu tout repère, impossible de dire combien de temps j’ai passé dans cet établissement. Plusieurs jours, j’en ai la certitude, mais combien ?

Je me suis très vite retrouvé dans une chambre comportant des barreaux à la fenêtre et fermée à clé en permanence. Un infirmier m’apportait mes plateaux repas qu’il prenait soin de poser sur la table située à l’autre bout de la pièce. Là encore, je passais le plus clair de mon temps à cracher. Et si je voulais manger, c’était à moi seul de me débrouiller. Il fallait donc que je me lève et que je marche pour parvenir à atteindre le plateau repas. Cela me prenait beaucoup de temps. Et lorsqu’enfin j’arrivais à mon plateau, je me trouvais face à une autre difficulté à surmonter : réussir à avaler quelque nourriture.

Me lever devint un calvaire, jusqu’au jour où je suis tombé à terre au pied de mon lit à bout de forces. J’avais beau tenter l’impossible, je ne pouvais plus bouger et je suis resté de longues heures à pleurer sur le plancher froid sans que personne ne me vienne en aide. L’infirmier est venu chercher mon plateau repas et a refermé la porte à double tour derrière lui. Et puis, il y a eu la visite (apparemment inopinée) d’un médecin. Ce dernier m’ausculta et déclara qu’il fallait me faire sortir d’ici de toute urgence.

Les médecins ont d’abord pensé à la polio

J’ai su bien plus tard que ma sortie s’était faite sur autorisation du préfet. J’ai éprouvé un très vif sentiment de libération lorsque l’ambulance a passé les hauts murs de ce que j’appelais ma prison. En moi-même je me suis dit : cette fois-ci, tu es sauvé. J’ai été dirigé vers un premier hôpital (Saint-Denis) où j’ai été intubé dès mon arrivée. Le personnel médical semblait affolé au vu de mon état et je fus transféré très rapidement vers un autre hôpital (Garches).

Là, je dois dire que ce sont encore les repères de temps qui me manquent. J’ai dû passer 7 à 8 mois en réanimation. Trachéotomie (donc impossibilité de parler), paralysie complète, sonde pour la nourriture puis sonde pour uriner. Et un laps de temps très long avant d’identifier précisément ma maladie, j’ai su ensuite que les médecins avaient d’abord songé à la polio.

L’enfer, enfermé dans ma tête

Que dire concrètement de cette période où j’ai vécu l’enfer de me sentir enfermé dans ma tête ? J’entendais tout. Le pessimisme du personnel au détour de chacune de leurs conversations, de jour comme de nuit. Le bip incessant de l’appareil pour le cœur. Les bruits de couloir. Les rires du personnel (ceci n’est pas un reproche, comme je les comprends et les remercie…) Il y avait affiché face à moi une liste impressionnante de médicaments.

Le plus dur à surmonter, c’est que j’ai eu extrêmement peu de visites durant mon hospitalisation. C’est là que j’ai perdu confiance en les autres et il m’a fallu de nombreuses années avant de résoudre ce problème. Quelquefois, je recevais la visite de mon père, tétanisé. Une petite poignée d’amis au tout début et puis plus rien. Pas même mon frère jumeau, c’est dire.

L’un de mes amis les plus proches m’a expliqué bien après qu’il n’avait pas pu surmonter le fait de me voir dans cet état comparable à un légume relié à une multitude de tuyaux et d’appareillages en tout genre.

Ce que je voulais absolument, c’était voir ma mère. J’en avais fait un point d’ancrage, un point de haine face à son absence, combien de hurlements inaudibles n’ai-je pas poussé pour que mon vœu le plus cher se réalise. J’allais même jusqu’à me convaincre que si je devais m’en sortir, ce serait uniquement par pur esprit de vengeance.

Je suis resté de longs jours entre la vie et la mort

Durant cette période, je me suis vu mourir à plusieurs reprises (hallucinations dues aux médicaments ?) jusqu’à voir mon propre corps allongé sur ce lit et moi (mon esprit ?) en lévitation, observant la scène, tentant de me convaincre et me suppliant de redescendre. Ne plus pouvoir communiquer à été un véritable drame de tous les instants. J’avais le sentiment d’être coupé en deux, à la fois partie prenante de ce corps à l’état de ruine et à la fois quelque part ailleurs, je ne sais où. Le personnel médical m’a expliqué par la suite que je suis resté de longs jours entre la vie et la mort, se demandant à la fin de leur service s’ils allaient ou non me revoir vivant le lendemain.

J’étais sur un matelas à eau, on me changeait de position toutes les deux trois heures. Enfin il me semble… Le fait est que j’ai attrapé bon nombre d’escarres au niveau du bas du dos et aux talons ainsi qu’aux coudes. Douleur atroce.

Tout réapprendre comme un nouveau-né

Lorsque j’ai commencé à aller mieux, le personnel médical a tout simplement parlé de miracle. J’ai eu peur durant un certain temps de ne pas pouvoir retrouver mon rythme respiratoire. J’ai dû tout réapprendre au fil du temps comme un nouveau-né : parler, marcher, m’alimenter, me débrouiller par moi-même, retrouver le goût perdu des aliments.

Mon rétablissement a été plutôt rapide tant je désirais faire des progrès, mon seul regret étant de n’avoir bénéficié d’aucun soutien psychologique afin de dissiper les différentes failles entrouvertes en ma tête. Ma sortie a été suivie d’une période d’euphorie de quelques mois : j’attendais énormément des autres (d’abord qu’ils m’aident à reprendre confiance en moi) et j’étais prêt à énormément donner. Mais donner quoi ? Avec le recul, j’ai plutôt l’impression que le fait de se retrouver confronté à quelqu’un qui revient de loin, cela fait peur, jusqu’à en devenir insupportable.

Psychologiquement, j’ai été entièrement détruit

Mon rétablissement s’est donc fait sans séquelles… apparentes… Mais psychologiquement, j’ai été entièrement… détruit. Je dis sans séquelles physiques mais je traverse encore à ce jour des périodes de fatigues intenses et récurrentes que je ne m’explique pas. (Peut-on envisager un lien direct avec mon SGB ?) Donc, mon euphorie a très vite laissé place à une vertigineuse déprime, allant même jusqu’à me renfermer complètement sur moi-même. Résultat : trois années à la rue et un an en foyer de la D.A.S.S. où j’ai eu la possibilité de me reconstruire au jour le jour. Tout cela pour aboutir à un semblant de vivre à 24 ans (c’est à dire en 88).

Je ne saurais que trop conseiller à tous les proches ayant une personne de leur entourage atteinte de cette maladie d’entourer au mieux le malade durant le pic de la maladie. Et surtout de rester très vigilant lorsque la période d’euphorie suivant de quelques mois le rétablissement retombe, car c’est une véritable crise à rebours que la personne subit, une crise incommunicable faite à la fois de remise en questions et de doutes permanents. Je ne pense pas me tromper en affirmant que l’on se retrouve à ce moment-là socialement à la recherche d’un but à n’importe quel prix tant l’être a été fragilisé, dévasté en son for intérieur.

L’après Guillain-Barré

Après mon travail de reconstruction, j’ai commencé tant bien que mal à travailler jusqu’au début de l’année 1992 où j’ai décidé de tout arrêter. Il ne m’importe plus que de me consacrer à moi-même (mon sacerdoce : me reconstruire chaque jour). Reprise d’études stoppées en 3ème… pour aboutir à une licence en théâtre. Temps consacré essentiellement à l’écriture (un livre publié à ce jour) et impossible de me projeter dans le futur tant j’ai l’impression que la vie est trop courte et qu’elle ne tient qu’à un fil.

J’ai donc pris la décision ferme de ne plus vivre qu’au jour le jour. Ce qui me désole aujourd’hui, c’est que je suis dans l’incapacité d’expliquer à mon entourage mes difficultés, sachant que je vis encore avec quelque chose en moi ayant à voir avec cette maladie (20 années passées à ressasser le pourquoi du comment, 20 années sans en parler à quelqu’un à même de me comprendre, ajouté à cela la possibilité de rechute… La maladie étant rare, combien avons-nous réellement de chance de l’attraper une seconde fois ?

Je me rends compte à l’heure de la conclusion que mon témoignage ne semble guère encourageant. Il est vrai que durant mon incursion en moi-même, ma période de paralysie, l’une des leçons que j’en ai tirée est quoi qu’il advienne, de ne jamais tricher.