L’installation de la maladie de Guillain-Barré a été brutale. Sans mes proches, mon envie de vivre n’aurait pas été suffisante.
J’habite Nice et j’ai été atteinte du Syndrome de Guillain-Barré le 3 juin 2000. « Un SGB livresque » disaient les médecins. J’ai tout eu, comme la description des auteurs, toutes les complications du SGB avec assistance respiratoire par intubation d’abord, puis trachéotomie, problèmes cardiaques nécessitant la pose d’un pace-maker.
Véronique, 43 ans
Guillain-Barré à 42 ans (en 2000)
Par deux fois j’ai frôlé la mort
J’ai eu des complications annexes avec des problèmes de reins et de foie liés aux traitements que l’on m’avait administré. J’ai donc du être dialysée. J’ai fait peur à tout le monde : mon mari, ma famille, mes amis et même aux médecins. Par deux fois j’ai frôlé la mort, tout en en ayant conscience.
La première fois c’était lorsque je suis allée en cardiologie pour la pose d’un pace-maker car je faisais de la bradycardie. Je savais que j’étais en danger et mon cœur n’est jamais plus descendu en dessous de 25 pulsations par minute. La seconde fois, c’est lorsque je suis partie du service de soins intensif de neurologie pour aller en réanimation afin d’être dialysée. Les médecins ne se sont prononcés qu’en disant à mon mari : « Il faut croiser les doigts, on ne peut rien dire pendant 48 heures ». Le plus difficile à vivre, c’est cette conscience des évènements que le corps médical a tendance à oublier parce que nous avons une apparence inerte.
Les médecins ne s’adressent pas à nous
Mais on entend, on cherche à savoir mais on est dans l’impossibilité de poser des questions. Ils ne s’adressent pas à nous en tant que sujet. On voudrait savoir où on en est de notre maladie, de notre traitement. On se sent terriblement impuissant. Alors on lutte, contre l’angoisse de ne plus pouvoir commander son corps et d’être dépendants des machines et du personnel. On lutte aussi contre la douleur. Il arrive parfois, lors des soins, de hurler de douleur sans être entendu bien sûr, car on est trachéotomisé.
Alors les soins se poursuivent dans cette souffrance que l’on ne peut faire entendre. Quand je suis arrivée en réanimation pour ma dialyse, le médecin m’a mise dans un état second. Je percevais mon environnement, les voix et je rêvais énormément. J’intégrais cet environnement dans mes rêves, jusqu’au respirateur qui avait différentes mélodies selon que je me mettais en apnée ou que je n’étais plus synchrone avec lui. C’était la première fois que malgré le danger, je n’angoissais pas. Par contre mes rêves ne me trompaient pas sur la précarité de ma vie. Après 4 semaines de réanimation, on m’a enlevé peu à peu les tuyaux que j’avais un peu partout (respirateur, perfusions, sonde gastrique, sonde urinaire…). J’ai été transférée le 11 août dans un service de rééducation fonctionnelle. A ce moment là j’étais toujours tétraplégique.
J’ai du tout réapprendre à cause du Guillain-Barré
C’est vrai que les fonctions reviennent, mais avec combien d’efforts. Je bénéficiais de toute la panoplie du service : balnéothérapie, ergothérapie, kinésithérapie… J’ai du tout réapprendre, un peu comme une renaissance, j’ai du passé par toutes les étapes de l’enfant : on m’a donné à manger au début, puis j’ai eu des couverts ergonomiques avec un gros manche. Pour l’écriture, j’ai commencé avec un gros crayon et j’effectuais des exercices de seconde section de maternelle (lignes droites, lignes brisées, boucles…) Mais tout revient. Je serais tentée de dire « vite », mais quand je regarde bien, je suis restée 5 mois dans ce service. Ce qui me trompe sur la durée c’est peut être parce que chaque jour il y avait un progrès.
J’ai été soutenue dans la maladie
Dans cette aventure, ce qui m’a beaucoup aidée, c’est la présence de mon mari, toujours là au moment des visites. Avec lui, je sortais de mon isolement car je pouvais communiquer avec un système de lettres de l’alphabet sur une feuille. Il suivait les lettres de son doigt et chaque fois que l’une d’elle correspondait au mot que je voulais dire, il la retenait et on recommençait jusqu’à ce que le mot soit épelé. C’était un mot contextuel autour duquel il pouvait me poser des questions fermées permettant des réponses « oui », « non ». Pour poursuivre, on épelait un autre mot.
J’ai été aussi soutenue par des courriers, des cartes postales, des appels téléphoniques de la part de ma famille, mes amis, mes collègues de travail. L’installation de la maladie a été tellement brutale, qu’il y a eu une grande mobilisation et une grande solidarité, malgré l’été, malgré les vacances. Cela a été un soutien immense aussi bien pour moi que pour mon mari qui a aussi été très entouré par nos amis et ses collègues.
Sans ce contexte-là, mon envie de vivre n’aurait peut-être pas été suffisante pour m’en sortir dans les phases critiques car il était plus facile de se laisser aller que de lutter pour vivre.
Je suis un véritable chantier pour le kiné
Aujourd’hui, mars 2001, je suis toujours en arrêt de travail. Je reste très fatigable et ne me fixe qu’une chose physique importante à faire par jour (ménage, magasins, repassage,…). Le reste du temps je lis, j’ai besoin de dormir dans la journée, j’écris cette aventure exceptionnelle à travers mon vécu et mes rêves. En tant que psychologue, j’essaie de donner un sens à mes rêves, de les analyser.
Je reconduis depuis 3 semaines, ce qui me rend plus autonome et plus libre. Je continue la kiné en ville car j’ai encore des raideurs articulatoires et tendineuses au niveau des pieds. Cela me fatigue vite quand je marche. Je suis un véritable chantier pour le kiné car j’ai tout à remuscler du fait de la longue période d’alitement. La conduite me rend mois prisonnière de ma maison et de mon quartier.
Je suis retournée voir le personnel des services de soins intensif de neurologie et de réanimation. Leur joie en me voyant debout, en forme, leurs discours (« vous nous avez fait des frayeurs », « vous voir comme ça, vous êtres mon plus beau cadeau ») me laissent penser qu’ils se sont battus avec moi, pour la vie. Je leur en serai toujours reconnaissante.
Quant à ma cicatrice de trachéotomie je l’assume beaucoup mieux depuis que je peux dire : « c’est ma cicatrice de vie ».