Paralysé par la polyradiculonévrite (Guillain-Barré), j’ai eu du mal à accepter mon sort. J’avais honte d’être dans un fauteuil.
J’étais dans ma 54e année, je me souviendrai toute ma vie de ce 11 août 2000, date à laquelle je fus hospitalisé et date à laquelle ma chère maman est décédée. Cependant, je ne l’ai su que cinq mois après, le 1er janvier 2001. Les médecins ayant interdit qu’on me le dise ne sachant comment j’allais réagir…
Jean-Pierre, 65 ans
Guillain-Barré à 54 ans (en 2000)
« Les grippes sont mauvaises cette année »
Eté 2000, enfin les vacances après une année chargée tant sur le plan professionnel qu’extra professionnel. A cette époque, sur le plan extra professionnel, nous préparions avec toute une équipe, les finales du championnat de France de tennis corporatif à la ligue des Flandres de Marcq-en-Barœul et le « Téléthon » de Maubeuge qui cette année-là était télévisé.
Le 31 juillet, départ en famille vers le soleil ! Destination Port Leucate, cité balnéaire située entre Narbonne et Perpignan où nous avons l’habitude de nous rendre, histoire de nous reposer et revoir les amis de vacances. Au début du séjour, tout se passe magnifiquement bien. Je fais des balades en vélo jusqu’à des randonnées de 50 km. Je me sens bien.
Vers le 5 août, je commence une gastro. Gastro que je fais soigner. Après deux ou trois jours, cela va mieux. Je recommence à retourner à la plage, sans pour cela avoir la forme. Allongé sur le sable, je ressens des picotements au niveau des jambes. Petit à petit, je perds mes forces, je rencontre des difficultés pour marcher… Je retourne chez le médecin. J’ai beaucoup de mal à m’installer sur la table d’auscultation et c’est mon épouse, venue avec moi, qui m’aide à le faire. J’explique au médecin les symptômes que je ressens… Son diagnostic : « Les grippes sont mauvaises cette année ». Superbe comme diagnostic ! Je passe une nuit pénible, des douleurs un peu partout, je commence à me paralyser.
C’est une Polyradiculonévrite (ou Guillain-Barré)
Le lendemain matin, je ressens d’atroces douleurs au niveau du ventre. J’ai du mal à respirer, à uriner… L’ambulance m’emmène dans un hôpital situé à Narbonne, le médecin m’ausculte et pense en premier lieu à une occlusion intestinale vu les symptômes. Mais avant de procéder à une éventuelle intervention chirurgicale, ce dernier me prescrit un lavement… Et là, Ô Miracle ! Ça marche ! Pas d’intervention chirurgicale ! Ouf !!! Je suis soulagé ! Le médecin vient me voir et me dit : « Vous avez échappé à l’opération. » Puis, prenant ma main, il s’aperçoit que mes mains ne réagissaient plus. Tout de suite, il fait appel au neurologue de l’hôpital. Ce dernier, prend la décision de me transférer en urgence dans une structure plus adaptée tellement mon état s’est détérioré.
Je suis transféré le soir même de toute urgence sur Montpellier. J’arrive à l’hôpital « Guy de Chauillac » dans le service du professeur Blard. Après examens, le verdict tombe : Polyradiculonévrite (ou Guillain-Barré). Mis à part la tête qui bouge, le reste de mon corps est complétement paralysé. Un peu plus tard, les médecins me diront que j’ai eu une sérieuse, très sérieuse attaque, attaque dont on ne se sort normalement pas. Je fais partie des 5 % de cas morbide. Ce qui m’a sauvé la vie, c’est mon hygiène de vie. Dans la vie de tous les jours, je faisais du sport, je ne fumais pas et ne buvais pas ou très raisonnablement.
Plusieurs phases critiques
Au début de mon hospitalisation à Montpellier, je souffre tellement physiquement que les médecins décident de me mettre dans un coma artificiel. Aucun médicament, même la morphine, ne parvient à me soulager. Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de ce passage dans cet hôpital où je reste environ un mois avant d’être rapatrié par avion sanitaire au plus près de chez moi.
Je prends la direction du CHU de Valenciennes dans le service de réanimation du docteur Jean-Luc Chagnon « chef du service réanimation », un grand monsieur à qui je dois d’être en vie aujourd’hui. Durant cette période d’hospitalisation, je passe par plusieurs phases critiques, très critiques étant donné les problèmes qui viennent se greffer durant mon séjour en réanimation. Les reins ne fonctionnent plus, je suis dialysé, j’ai deux pneumothorax, le cœur fait des siennes, je suis trachéotomisé, j’en passe et des meilleures. Étant trachéotomisé, avec mon épouse, nous communiquons avec les lettres de l’alphabet. C’est fatiguant mais tellement important pour le moral : je ne suis plus coupé du monde.
Une canule inespérée et du champagne
Le 1er novembre, mon moral se détériore, je me laisse « glisser ». Le docteur propose à ma femme de me montrer mes petits-enfants par le biais d’une caméra et télévision interposée. Le 21 novembre, jour de mon anniversaire, le docteur Chagnon et mon épouse remarquent que je commence à bouger une épaule, c’est l’espoir qui renaît.
Peu après les fêtes de fin d’année, une infirmière change la canule de ma trachée. Elle me remet sans le savoir une canule où passe le son. Quand elle a fini, je lui dis merci intérieurement, sans savoir qu’elle va entendre le son de ma voix : « Personne n’avait entendu ma voix depuis le début de mon hospitalisation. » Je vois le regard étonné et surpris de cette infirmière en entendant ma voix pour la première fois. Plus tard, elle m’avouera qu’elle avait pleuré d’émotion.
Un jour, le docteur Chagnon, accompagné de tout son équipe lors d’une visite dans ma chambre, voyant que je fais quelques progrès, me dit ceci : « Monsieur Lecocq, lorsque vous arriverez à me faire un bras d’honneur, je vous paye le champagne ! » Un peu plus d’un an après cette bonne parole, voilà que j’arrive à le faire. Je repense à ce qu’il m’a dit et lui téléphone pour lui rappeler son pari. « D’accord me dit-il dit, mais je veux voir ! » Je vais donc le voir et nous trinquons ensemble, sans oublier le personnel.
Quand la charte du patient est bafouée…
Je reste environ 6 mois dans ce service. Un grand merci à toutes celles et ceux qui, pour soulager mon épouse, proposaient leur service pour la conduire le soir afin qu’elle puisse souffler un peu et me voir (malgré son travail, la fatigue, elle n’a jamais loupé un jour de visite). Merci également à toutes celles et ceux qui m’ont rendu visite, pris de mes nouvelles. Une petite parenthèse concernant les visites : les visites étant restreintes sur le nombre de personnes, mon épouse avait instauré un planning avec celles et ceux désireux de venir me voir.
Après le service de réanimation, changement de décor, direction le service de rééducation dans ce même hôpital. Je ne m’étalerais pas trop sur ce passage, préférant oublier ce séjour qui s’est plutôt mal passé, non pas avec les kinés, des personnes superbes aussi bien sur le plan professionnel que sur le plan humain, mais avec la doctoresse et une cadre infirmière de ce service. Elles avaient dû lire « la charte du patient » en diagonale. Pour mon compte personnel, elles n’avaient pas leur place dans un service comme celui-là, surtout sur le plan humain. Enfin, tout cela est du passé, je n’en dirai pas plus et veut effacer de ma mémoire ce triste épisode qui a duré un peu plus de 3 mois…
La reconstruction après une polyradiculonévrite (Guillain-Barré)
Heureusement, début mai 2001, je suis transféré à l’hôpital départemental de Liéssies/Felleries situé à 25 km de chez moi dans un service de rééducation fonctionnelle. Mon médecin rééducateur vient me rendre visite après 19 heures le jour de mon arrivée. S’adressant à mon épouse et à moi-même, il nous dit : « Ici, on soigne le corps et l’esprit ! » Ces paroles resteront gravées à jamais dans ma mémoire. Cela me change de mon précédent centre de rééducation où, je m’étais replié sur moi-même tel un animal blessé.
Dans ce centre de Liéssies, j’ai à faire à des personnes formidables ! Un docteur à l’écoute de ses patients, mes kinés, mon ergothérapeute, la psychologue qui m’aident dans ma reconstruction morale, une cadre de santé extraordinaire, qui chaque matin dès 7 heures passe dans chaque chambre avec le sourire pour dire bonjour avec toujours un petit mot gentil.
Je reste 4 ans et demi dans ce centre. Environ 6 mois hospitalisé et le reste en hôpital de jour. De cet établissement, je ne garde que de bons souvenirs. Je me souviens encore de mes premiers pas avec mon kiné entre les barres parallèles. Quel moment d’émotion ! De bonheur pour ce simple geste qui parait anodin pour les valides. Mais pour moi, c’était une grande victoire après tant d’efforts ! Certes la bataille contre cette polyradiculonévrite (Guillain-Barré) était loin d’être remportée, mais cette victoire me réconfortait pour l’avenir. Je me fixais d’autres objectifs.
Il me faut apprendre à être dépendant
Puis c’est le retour à la maison avec toutes les contraintes que cela comporte. De super protégé, je passe à protégé. Il nous faut prendre nos repères, car après une aussi longue absence ce n’est pas évident pour l’un comme pour l’autre (surtout que je suis appareillé de toute part pour pouvoir faire quelques tâches et je bouge à peine).
Mon épouse me donne à manger durant un peu plus d’un an. Comme futur retraité j’avais envisagé d’autres activités et en particulier « la marche ». Mais voilà, un grain de sable est venu enraillé la belle mécanique ! Il est très dur d’accepter une telle injustice ! Pourquoi moi !!! Faisant du sport, ne buvant pas, ne fumant pas ! Il n’est pas toujours aisé d’accepter, de toujours dépendre des autres pour des gestes simples.
Il m’a fallu un certain temps avant d’accepter mon sort, ma nouvelle situation face à la vie, aux personnes, sortir de chez moi, affronter les regards. J’avais honte d’être dans un fauteuil, honte du regard des autres… Le temps, mon épouse, mes enfants, ma famille, mes amis m’ont permis de franchir le cap, de faire face à la réalité, de passer à autre chose, de me dire que malgré cela, la vie est belle, qu’il faut désormais la vivre avec ce qu’elle vous a laissé. Elle vaut le coup d’être vécue, encore faut-il le vouloir !
Je continue à me battre
Aujourd’hui, en janvier 2012, je suis toujours dans un fauteuil, je suis tétra phasique, j’ai la pêche, je vais à raison de 3 fois par semaine faire des séances de rééducation chez une kiné libérale. Elle est toujours d’humeur égale, positive, souriante, mais c’est une main de fer dans un gant de velours.
Je continue à me battre, j’essaye de faire face aux événements. Même en période de vacances, je continue mes séances de kiné tout en m’octroyant un peu de répit (j’y vais alors 2 fois par semaine, en lieu et place de 3 fois pendant l’année).
J’aime la vie, même si cette dernière n’a pas toujours été tendre avec moi. Avec mon handicap, c’est une nouvelle vie qui s’est ouverte à moi avec de nouveaux objectifs, de nouveaux horizons. Cela m’a permis de rencontrer des personnes exceptionnelles, des personnes qui me font oublier mes soucis de santé et que je n’aurais pas connues si j’étais resté valide. Certes, la vie n’est pas rose tous les jours, il arrive parfois que la morosité l’emporte et agisse sur le moral. Je serre les dents, je pense aux choses positives et je reprends le dessus. C’est la recette pour surmonter les difficultés. Pleurer sur son sort n’amène à rien et ce n’est pas cela qui vous fera avancer. Pour y arriver, il faut être bien entouré aussi bien sur le plan familial qu’amical, être bien dans sa tête, participer à des activités, ne pas se renfermer sur soi-même.
Je n’ai pas réussi à m’extraire physiquement du bocal
Aujourd’hui, mon épouse et moi ne voyons pas le temps passer. Nous avons un emploi du temps de ministre, nous sommes rarement chez nous, nos enfants nous appellent « les Manouches ». J’ai pris pas mal de fonctions au sein du tennis. Je suis président du club de Maubeuge, président pour le Nord- Pas-de-Calais du tennis « handisport », membre du comité de direction pour le Nord et le Hainaut, j’ai en charge (toujours dans le tennis et pour le Hainaut) l’organisation d’une animation avec des enfants de 6 à 8 ans. Membre de la commission handicap pour la ville de Maubeuge… Sans oublier l’organisation du Téléthon et les sorties au théâtre. Alors vous voyez, pas le temps à la contemplation et à la rêverie !
Vivez heureux, profitez de la vie sans la gaspiller. Contrairement au livre « Le syndrome du Bocal » de Claude Pinault, je n’ai pas réussi à m’extraire physiquement du bocal. A ce jour, je n’ai toujours pas accepté le handicap causé par la polyradiculonévrite, ce Guillain-Barré de malheur, mais je vis avec.
Je terminerai cette réflexion sur une citation d’Hervé Bazin : « Une vie sans avenir est souvent une vie sans souvenir. »