J’apprends alors que mes séquelles du Guillain-Barré ne sont pas qu’un problème de steppage mais aussi de fatigabilité. Une révélation !

J’ai attrapé le Guillain-Barré lorsque j’avais 4 ans et demi. De l’hôpital, j’ai peu de souvenirs. L’humiliation de ne pouvoir faire pipi seul, le temps passé à essayer de décoller un capteur sur mon torse avec ma langue (qui pour m’aider ?), le jeu auquel je jouais alors que je ne pouvais bouger : faire le tour des objets de la chambre avec le regard sans casser la courbe.

Christophe, 38 ans

Guillain-Barré à 4 ans et demi (en 1982)

Enfant, sorti de l’hôpital

Séquelles (celles que je voyais à l’époque) : steppage.
Cauchemar récurent : seul dans des sables mouvants, attiré inexorablement vers le fond.
Je ne me suis jamais confié, jamais. Honte d’être handicapé, j’ai toujours caché mon steppage et ne me suis jamais plaint (ça aurait été admettre être handicapé, un poids).
L’église : juste une horreur, avec ces chaussures plates qui font un bruit monstre car je ne peux ralentir la chute des orteils dès le talon posé.
Gardien de but a l’école : même pas peur de plonger, et ça me permet de me cacher, de chercher l’approbation des autres.

Adolescent

Mon corps me trahissait de nouveau : érections.
« Mollet de coq », dixit ma mère et ma sœur (ne pensant pourtant pas à mal ?!) qui se sont bien foutu de ma gueule.
Je chutais souvent du fait de mon steppage : j’ai été inscrit à un club de judo, mes premiers pas dans les arts martiaux, rencontre de Bruce Lee : la MAITRISE DE SON CORPS.
Fils d’agriculteur, j’ai eu droit à nombre de « feignant et bon à rien » de mon père. Ma mère compatissante calmait un peu le jeu mais je sentais que je n’étais pas loin d’être mis à la porte.

Mon père et ma mère ne s’entendaient pas, étaient en désaccord sur ce qui n’allait pas chez moi. Et du coup, rien n’a jamais été fait. De la menace implicite de mon père exigeant de me mettre dehors (surement amplifié par le point de vue handicapé, un poids pour la société), au désespoir de ma mère qui a fini par craquer elle aussi : mes affaires par la fenêtre, j’étais suicidaire et ça a duré, duré…

Je n’en ai jamais informé mon médecin que j’allais voir pour les maladies passagères. Quand j’allais le voir, il souriait. Je ne l’ai pas contredit, je voulais lui faire plaisir (j’me souviens notamment d’avoir tendu ma jambe lors d’un test de reflexe ostéo-tendineux, il a pas tilté).

En retrait, je préférais toujours marcher derrière (ça me permettait de cacher ce steppage). En ajustant la démarche, on peut passer de « handicapé » à « mec qui se la pette ». C’est quoi le mieux ?

Jeune étudiant

Taikwendo/karaté. Suite à une nouvelle altercation avec mon père, je lui promettais de lui exploser la tête s’il me traitait encore une fois de feignant (il m’a baffé).
Mention Assez Bien au bac, je suis allé en classe prépa (un dossier d’inscription était passé en classe et je l’avais rempli). Viré de l’école au bout de la première année, j’étais dans un spleen, pas bien du tout. J’me suis retrouvé en fac ou j’ai suicidé ma seconde année.
J’ai commencé à chercher, seul, pourquoi j’étais bizarre (comme je l’avais souvent entendu). Et à force d’observation des autres, je devais bien le reconnaitre, il me manquait quelque chose comme un narcissisme défaillant.

Jeune adulte

J’ai pu dans un premier temps travailler « honnêtement » via boîte d’intérim. Sorti de classe pépa, à défaut d’avoir de réelles compétences, j’avais des capacités. Mais suite au 11 novembre, viré de mon emploi d’analyste, j’me suis finalement retrouvé à faire péniblement de la manutention.
Je jouais à la brute qu’on voulait que je sois, j’ai fait les travaux les plus éprouvants allant jusqu’à tenir 1 mois et demi à un poste (trouvé par mon père) avant de craquer. Mon corps arrêta de faire ce que je voulais : travailler, finir mon contrat. J’avais atteint mes limites, tremblant, larmes aux yeux et perplexe, je démissionnais.
J’ai été chercher de l’aide chez les professionnels : les psys (poussé par une amie). Et ce fut pendant 10 ans ce qui me donnait l’espoir de faire avancer les choses, c’était inscrit sur mon dossier RSA (revenu de solidarité active).
Première visite chez les psys à 24 ans : « Je suis puceaux ». Et ma haine de mon père ont conduit à une approche « complexe d’Œdipe » !!! Et j’ai « travaillé » dans ce sens. (Apres réflexion, ils n’ont jamais vraiment écouté le pourquoi de cette haine).

« Adulte »

Capoeira. Il aura fallu 10 ans de réflexions solitaires, « aidé » par des psys, pour que je remette en cause l’existence de ce steppage. J’me suis dit à l’époque que peut-être ma mère, trop compatissante, m’avait empêché de récupérer mes releveurs par des chaussures montantes.
Visite à mon médecin, un peu perplexe, pour vérifier cette hypothèse : il m’a envoyé chez un neurologue. En attente de ce rendez-vous (super motivé), j’ai bossé en manutention pour acheter un appareil d’électrostimulation, repris des séances de rééducation/musculation chez un kiné.
Le choc arriva chez ce neurologue. Electromyogramme : test des connections nerveuses au niveau des releveurs, je ne pourrai jamais marcher normalement. MAIS ce neurologue (ce héro) a aussi testé mes biceps (contre mon souhait car je voulais juste tester les releveurs). Après avoir frimé (j’me prenais pour une brute mal dans sa peau) et contracté mon biceps (plus fort que nombre de personne normales n’auraient pu le faire) le résultat tombe : le biceps est atteint aussi. J’apprends alors ce que sont mes séquelles du Guillain-Barré : TOUS les nerfs sont atteints ! Le steppage est juste l’arbre qui cache la forêt, ce n’est pas qu’un problème de déambulation mais aussi de fatigabilité. Une révélation ! Ce neurologue me demande si j’ai une reconnaissance « handicapé », il est surpris que je ne l’aie pas.
2 ans après, j’obtiens cette reconnaissance contre l’avis de mon médecin généraliste surpris que je veuille en faire la demande (j’arrive à serrer mon sphincter, j’ai de la chance et je peux donc fermer ma gueule selon lui). Quel soulagement… Je suis un handicapé, pas un feignant-bon-a-rien, mais à la réflexion d’un ami : comment même puis je être content de ça ??? Lui préfère être un feignant qu’un handicapé, logique.
3 ans plus tard, pour conserver cette reconnaissance, visite à un autre médecin, qui m’envoie chier : j’ai été capable d’arriver chez lui à pieds, donc il ne veut pas m’aider dans ce sens. Pour lui, seul un problème d’ordre psychologique le justifierait !

Aujourd’hui

La victoire dont je peux me targuer suite à tout ça : être resté en vie ! J’ai l’impression d’avoir dû lutter pendant longtemps pour juste… avoir le droit d’exister !

Me voilà à 38 ans, pourri par la haine. Haine de mon père. Haine de Dieu. Haine de ces attardés mentaux qui chient sur les handicapés. Haine de ces médecins qui rompent allégrement leur serment d’Hippocrate sans être inquiétés. Mépris de psychologues prompts à classer vite fait. Mépris de ceux qui nient le point de vue péjoratif des gens sur les handicapés. Haine encore de l’assistante sociale de l’époque qui me poussait sur les métiers de manutention pour prouver que j’étais volontaire.

Alors oui, je peux comprendre, du médecin qui a vu des choses bien pires que mon état, aux psys qui n’opéraient qu’avec ce que je pouvais leur donner (vu le déni de longue date). Je peux trouver des raisons à leurs comportements dangereux, mais je n’approuve pas ! Je ne le peux !