Je communiquais à l’aide de l’alphabet que mon mari récitait, s’arrêtant aux lettres que je lui indiquais en clignant des yeux.
Je m’appelle Louise Tremblay et j’habite à Jonquière, une ville de 60.000 habitants, au Québec. Je suis mariée depuis 23 ans et j’ai deux belles filles de 17 et 14 ans. Le 19 mai 2000, j’ai été atteinte du Syndrome de Guillain-Barré.
Louise, 43 ans
Guillain-Barré à 42 ans (en 2000)
J’étais particulièrement fatiguée
Tout a débuté le mardi 16 mai 2000 : en me lavant les mains au bureau, je me suis rendu compte que l’eau était plus froide dans ma main droite que dans la gauche. Depuis un certain temps, j’étais plus fatiguée qu’à l’habitude. Je mettais cela sur le compte de mon travail et des travaux de réparation que nous faisions, mon mari et moi, à la maison. Je me souviens avoir dit plusieurs fois que les vacances d’été me permettraient de me reposer.
Pendant toute la journée de ce fameux mardi, j’étais particulièrement fatiguée, ce qui ne me ressemble pas car habituellement, je suis une femme très active et remplie d’énergie. Cette différence de sensibilité (je ne peux pas dire qu’il s’agissait très clairement d’engourdissements) s’est étendue au pied droit, au côté droit de mon visage ainsi qu’aux bouts des doigts de ma main gauche. Cela m’inquiétait et vers 22 heures, avec mon mari, nous nous sommes rendus à l’hôpital de Jonquière où j’ai dû m’étendre pendant l’attente tant j’étais affaiblie.
Après examen, la médecin que j’ai rencontrée m’a demandé de revenir dès le lendemain matin afin de passer une radiologie cervicale car elle soupçonnait un pincement de nerf au niveau du cou. Le mercredi 17 mai, je suis donc allée tôt le matin à cette radiographie mais celle-ci étant normale, on m’a gardée à l’urgence. J’y ai passé une batterie de tests dont un scanner cérébral. Ce dernier examen a écarté tout doute d’anévrisme ou de tumeur au cerveau. On m’a alors recommandé de voir un neurologue en me disant qu’un rendez-vous avait été pris pour moi pour le mardi suivant (21 mai). La journée était avancée et je suis retournée chez moi plutôt qu’au bureau.
Mon état s’était considérablement détérioré
Le lendemain matin, après le départ de mon mari pour le travail, je me suis levée et me suis rendue compte que mes forces baissaient rapidement. Je suis allée au Complexe hospitalier de la Sagami de Chicoutimi, ville voisine de Jonquière, où l’on retrouve des neurologues. On m’a examinée et renvoyée à la maison car, selon eux, je présentais trop de symptômes différents pour qu’un diagnostic soit établi. Peut-être que le fait de les avoir informés que j’avais un rendez-vous avec un spécialiste la semaine suivante leur a fait croire que je pouvais attendre jusque là ?
Le vendredi matin, mon état s’était considérablement détérioré : j’ai été prise de vomissements toute la matinée, je me tenais aux murs pour marcher. Nous sommes retournés à l’hôpital de Chicoutimi et le jeune médecin que nous y avons vu voulait me renvoyer chez moi encore une fois pour les mêmes raisons que la veille. On ne m’a donné aucune médication car on ne voulait pas camoufler les symptômes. Mon mari a dû insister pour qu’ils me gardent pour la nuit et finalement ils m’ont fait une ponction lombaire le samedi.
Le diagnostic du syndrome de Guillain-Barré
Les résultats sont tombés le dimanche, 19 mai 2000 : j’étais atteinte du syndrome de Guillain-Barré. Du vendredi au dimanche, j’ai très peu de souvenirs : mon amie, infirmière, pensais que je sombrais peut-être lentement dans le coma. Je n’étais déjà presque plus capable de parler, ni même d’avaler ma salive. Dès que le médecin m’a annoncé son diagnostic, une infirmière a pris le relais et s’est lancée tant bien que mal dans l’explication de ce virus dont je n’avais jamais entendu parlé. Heureusement que mes 2 sœurs étaient avec moi pour écouter car mon niveau d’attention était presque inexistant à ce moment-là. Mon mari était quant à lui parti se reposer car il était à l’hôpital depuis plus de 48 heures.
Tout ce dont je me souviens, c’est que l’on a demandé si on en guérissait : la réponse était positive et c’était tout ce dont j’avais besoin pour commencer à me battre.
La paralysie s’est étendue à tous mes membres
Et puis, tout a été très vite. Alors que l’infirmière me donnait de l’information sur ce qui m’arrivait, je suis tombée en détresse respiratoire et on m’a conduite en catastrophe aux soins intensifs. J’y ai été intubée et placée sous respirateur : de ça, je m’en souviens très bien.
On m’a alors administré des doses de gammaglobuline, meilleur traitement à date contre le SGB, selon les spécialistes qui me traitaient. La forte médication qu’on a commencé à me donner a fait en sorte que j’ai sombré dans un sommeil lourd mais qui était meublé de rêves qui se déroulaient tous à l’unité de soins intensifs où j’étais soignée. Ces cauchemars me donnaient l’impression de ne jamais dormir ce qui accentuait les douleurs que je ressentais dans tout mon corps.
La paralysie s’est étendue à tous mes membres. J’avais chaud, comme je n’ai et je n’aurai probablement plus jamais ainsi chaud de toute ma vie. Un ventilateur était dirigé sur moi 24 heures sur 24. Lors de leurs visites, mon mari et les membres de ma famille ne cessaient de me laver à l’eau froide tellement j’avais chaud. Ce premier stade de ma maladie a duré 2 semaines. Durant cette période, j’ai fait des pneumonies qui ont aggravé mon état. J’ai aussi fait un arrêt cardiaque, de courte durée toutefois, mais de cela, je n’ai pas de souvenir. Et puis, il y avait ces nuits, ces interminables nuits où je ne pouvais ni appeler, ni sonner, ni bouger alors que j’en aurais eu tant besoin.
Une chose dont je me souviens cependant, c’est d’avoir eu la visite d’un homme que je ne connaissais absolument pas : son médecin l’avait informé que je souffrais du syndrome de Guillain-Barré. Lui-même avait contracté ce virus moins de 10 mois auparavant. De le voir sur pieds, m’expliquant qu’il était passé par-là et qu’il s’en sortait, a été pour moi meilleur que tous les médicaments qu’on pouvait me donner. Cela m’a vraiment donné l’espoir qu’il me fallait pour continuer mon combat. Et à ce moment-là, j’ai fait la promesse que si cela m’était possible, je ferais la même chose pour quelqu’un d’autre.
Les difficultés à communiquer
C’est aussi pendant cette période qu’on a pratiqué une trachéotomie, car on ne garde l’intubation par la bouche que pour 2 semaines : très mauvais souvenirs là aussi. Et je ne bougeais pratiquement plus, à peine les doigts de la main gauche. Et j’avais mal aux mains et aux pieds, une douleur incessante que je comparais mentalement aux brûlures à la chair vive des grands brûlés. Je communiquais à l’aide de l’alphabet que mon mari récitait, s’arrêtant aux lettres que je lui indiquais en clignant des yeux ou en tapant les doigts un coup sur ma cuisse; deux tapes signifiaient la fin d’un mot. Pas facile de faire poser des questions aux médecins avec cette méthode-là. J’avais pourtant tellement de choses à demander. Mais mon conjoint était d’une patience infaillible. Sans lui, je n’aurais pas réussi à passer au travers de cette épreuve.
Les membres de nos deux familles ont été extraordinaires. Cela nous a permis également de constater le nombre d’amis que nous avons et mesurer la qualité de ces amitiés. Les collègues de travail, dans plusieurs cas, se sont révélés des amis. Autant les miens que ceux de mon mari, ont été très présents et solidaires. Le personnel de l’hôpital a aussi largement contribué à ma guérison.
Vers la guérison
Puis, on m’a transféré dans une chambre près de la mienne, toujours aux soins intensifs. J’étais bien contente car il y avait une fenêtre dans celle-là. J’ai été plus lucide de tout ce qui m’arrivait à partir de ce moment. J’ai commencé à faire de la physiothérapie. Le moindre effort était surhumain. Après un mois de respiration assistée, on a finalement procédé au sevrage du respirateur, dure expérience que je n’oublierai jamais.
Une fois ce sevrage terminé, on m’a installé aux soins intermédiaires, une chambre vitrée juste en avant du poste du personnel infirmier : deuxième étape. Et j’ai pris un bain pour la première fois avec l’aide du personnel et de tout l’équipement de levier que mon état nécessitait. J’en rêvais depuis si longtemps !
J’ai dû tout réapprendre
J’ai continué la physiothérapie et on m’a procuré un fauteuil roulant. J’ai débuté l’ergothérapie pour la motricité au niveau des mains. Je suis restée à cet endroit un peu plus d’une semaine. Puis, j’ai déménagé de chambre, tout près de la deuxième. Là, j’ai commencé à vraiment me reposer car le roulement ininterrompu des soins intensifs et intermédiaires a fait place à un calme relatif puisque nous n’étions que 2 dans la chambre. On me donnait de la morphine pour essayer d’apaiser la douleur que je ressentais surtout aux mains et aux pieds. À chaque fin de journée, je me retrouvais invariablement épuisée, au bout du rouleau. Et la thérapie s’est poursuivie à cet endroit sur encore plus de 2 semaines. J’ai dû tout réapprendre : parler, m’asseoir, marcher, manger, tout.
Des progrès constants
Vers le 10 juillet 2000, j’ai été transféré à l’URFI (unité de réadaptation fonctionnelle intensive) de Jonquière, tout près de chez moi. Mes filles et mon mari pouvaient venir me voir à pieds s’ils le désiraient. Cela a marqué le début d’une autre étape : je me rapprochais de chez moi et cela me motivait énormément. J’étais encore en fauteuil roulant mais celui-ci a bientôt cédé sa place à la marchette, à la quadripode puis à la canne. Mes progrès constants ont déjoué tous les pronostics des médecins et du personnel infirmier.
Je suis restée à l’URFI pendant 1 mois et demi. Après ma sortie officielle le 17 août, j’y suis retournée en thérapie 3 à 4 fois par semaine. Depuis peu, j’y vais une seule fois par semaine pour de l’orthophonie et de la physiothérapie respiratoire. De plus, je suis inscrite dans un centre de conditionnement physique où je me rends 3 fois par semaine avec contrôle par le physiothérapeute du centre 1 fois par mois.
Il est certain que je dois travailler sans arrêt sur ma réadaptation. Comme je le dis souvent, c’est un travail à plein temps. Mon employeur m’a installé un système informatique chez moi d’où je communique avec le bureau via Internet, ce qui me permet de travailler à raison de deux avant-midis par semaine.
Il ne faut pas abandonner
Sans la présence de mon conjoint, de mes filles, de tous les membres de ma famille, de ma belle-famille et de nos amis, je n’en serais pas où j’en suis aujourd’hui. Je leur en serai reconnaissante pour le reste de ma vie. Une chose qui est extraordinaire, c’est que j’ai pratiquement pu quantifier notre attachement et à quel point nous tenons les uns aux autres.
S’il y a un message que je veux transmettre aux gens qui, comme moi, sont atteint du syndrome de Guillain-Barré, cela en est un d’espoir et d’encouragement. Certes les efforts doivent être constants et incessants mais il ne faut pas abandonner. La vie est tellement belle, tellement plus belle qu’avant, quoiqu’elle l’était déjà. Mais le fait d’avoir été privé de tous mes moyens a pour effet que j’apprécie tout doublement.